الخميس، 2 ديسمبر 2010

الفلسفة في تونس من جهة نظر فرنكوفونية

Revue de collège internationale de philosophie : rue Descartes N.61

Mardi 7 octobre 2008

Pour répondre au plus près à la dimension internationale du Collège, la revue Rue Descartes a pris l’initiative de se délocaliser en consacrant l’un de ses quatre numéros annuels à l’exercice de la philosophie à l’étranger. Il ne s’agit en aucune façon d’une re-territorialisation de la pensée mais tout au contraire de l’affirmation de sa vocation à faire monde dans des sites et des idiomes multiples, de sa dissémination donc.
Qu’en est-il alors non pas de la philosophie tunisienne mais de la philosophie en Tunisie ? S’il fallait caractériser son site, je dirais qu’il se signale d’être « entre » : au mitan de la Méditerranée entre Europe et Afrique, entre Moyen-Orient et Occident dont fait partie le Maghreb, son nom arabe, à l’image du cap tunisien qui fait saillie sur la rive sud de la mare nostrum, et surtout entre langues qui se répondent, s’entremêlent et se nourrissent, l’arabe et le français principalement. Cette situation originale en fait un lieu de passage et de transit essentiel pour les concepts mis à l’épreuve de la traduction et de l’acclimatation, et pour risquer par conséquent la pensée dans une singularité opérante et vivante. Il faut bien reconnaître l’inégalité à ce jour d’un change qui a bien plus profité à l’influence des philosophies en langues européennes qu’à celle des philosophies en langue arabe. Si ce numéro de Rue Descartes ambitionne de contribuer quelque peu à réparer une injustice, il a davantage pour souci de mesurer les effets de la philosophie au risque des altérités et d’en inventorier les relances et les devenirs féconds.
Il n’est peut-être pas inutile de rappeler, comme le fait Fathi Triki dans son propos liminaire, que la Tunisie, autrefois et dans un contexte différent Numidie, fut assez propice à la pensée pour y accueillir et y nourrir les œuvres d’Apulée, de Saint Augustin et d’Ibn Khaldoun, ni d’apprendre que s’y est perpétuée la tradition des grandes réformes avec Kheireddine ( XIXème) et Tahar Haddad (XXème) ; sans oublier les transferts et les recommencements dont plusieurs philosophes français qui y ont enseigné ont avivé ou ravivé la flamme auprès des étudiants tunisiens ; et parmi eux François Châtelet, co-fondateur du Collège international de philosophie, et Michel Foucault dont Rachida Triki restitue le contexte et le plan d’un cours sur Descartes dispensé à l’université de Tunis.
Mais qu’en est-il de l’aujourd’hui de la philosophie ? Ce numéro fera la preuve qu’il est bel et bien vivace : dans le triple souci de construire des ponts à double sens entre les Lumières orientales et occidentales pour penser la rencontre des mondes et les soubresauts de la modernité (Moez Médiouni, Rachida Smine, Tahar Ben Guiza, Fathi Nguezzou), de mettre le religieux à l’épreuve de la rationalité, de la laïcité et des genres ( Salah Mosbah, Fathi Triki, Mohamed Ali Halouani, Mounira Ben Mustapha, Zeineb Ben Said-Cherni), de réinventer enfin la pensée dans les conditions de la diversité et de l’entre-langues ( Fethi Meskini). A parcourir et à lire ce numéro, on comprendra que loin de se contenter d’être les porte-voix des courants de pensée « occidentaux » ou des traditions et écoles arabo-musulmanes, les philosophes tunisiens travaillent à partir de leur situation à penser la complexité des temps et du monde.
Le dernier mérite de ce numéro, et non le moindre à mes yeux, est d’offrir des images des métamorphoses en cours sur la scène des arts en Tunisie, à l’intersection d’un héritage traditionnel repris à neuf et en beauté – témoin la couverture -, et d’un questionnement sur les nouveaux avatars troublants des corps, des espaces et des identités. A saluer au passage le travail et la générosité de ces artistes : Njah Mahdaoui, Dalel Tangour, Mouna Jemal, Marianne Catzaras, Nadia Kaabi, Halim Karabiben, Meriem Bouderbala, Sadika Keskes, Mouna Karray, Moez Safta, Nicene Kossentini … et pour son regard affûté, Jeanette Zwingenberger qui en a fait le choix.
Patrick VAUDAY, philosophe (université Paris IX – Dauphine) ancien directeur de programme au CIPh, est responsable du réseau « Diversité des expressions culturelles et artistiques, et mondialisations » (http://www.dcam.auf.org/) au sein de l’Agence Universitaire de la Francophonie